ArcelorMittal perd à la Cour d'appel du Québec | Pollueur-payeur

TÉLÉCHARGER LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC ICI : ArcelorMittal Canada inc. c. R., 2023 QCCA 1564

Le 14 décembre 2023 – Dans une décision unanime, la Cour d’appel du Québec a rejeté l’appel d’ArcellorMital concernant les rejets de substances nocives dans l’eau à sa mine de fer du Mont Wright sur le Nitassinan, sur la Côte-Nord, à Fermont. L’importance de la Loi sur les pêches comme outil de protection de l’environnement contre les impacts de l’industrie minière est renforcée. L’amende de 15 M$ déclarée par la Cour du Québec est maintenue pour les 93 chefs d’accusation concernant des infractions de déclarations fausses ou trompeuses, avoir rejeté ou permis le rejet de substances nocives dans des eaux où vivent des poissons, avoir omis d’effectuer certains tests exigés par règlement lors de rejets irréguliers.

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Passages clefs de la Décision 

Contexte

[7] Ce pourvoi met en lumière le rôle central que jouent les obligations d’autodéclaration dans le régime pénal de la Loi sur les pêches, pièce législative qui fut longtemps le principal outil d’intervention du gouvernement fédéral en matière environnementale.

[8] À l’instar de plusieurs affaires judiciaires environnementales, le présent litige tire son origine de rejets, dans un milieu récepteur, de substances dont la concentration dépasse des normes réglementaires.

[9] En l’espèce, ces substances nocives sont des matières en suspension (« MES ») qui ont été déversées à l’extérieur de la mine, à partir de points de rejets considérés comme « finaux » par le régime de la Loi sur les pêches qui interdit ce type de rejets dans des eaux fréquentées par des poissons ou en tout autre lieu, peu importe les conditions où le rejet risque de pénétrer dans ces eaux.

[10] Les appelantes, qui sont des associées dans la société en nom collectif ArcelorMittal Exploitation Minière Canada, exploitent une mine de fer à Fermont. Elles ont été accusées d’infractions à la Loi sur les pêches, plus précisément de 100 chefs d’accusation pour avoir 1) rejeté ou permis le rejet de MES excédant la limite permise dans des eaux où vivent des poissons ou en quelque autre lieu où il existait un risque que cette substance pénètre dans de telles eaux, en un rejet instantané ou sur une base mensuelle, 2) fait des déclarations fausses ou trompeuses dans des rapports trimestriels, 3) omis d’effectuer certains tests imposés par règlement lors de rejets irréguliers, et finalement 4) produit en retard certains rapports trimestriels.

[11] Ces accusations ont respectivement été portées sur le fondement des articles 36(3) et 63(1) de la Loi sur les pêches et des articles 14(1)b), 17(1) et 21(1) du Règlement sur les effluents des mines de métaux («REMM »).

[12] La Cour du Québec a déclaré les appelantes coupables de 93 chefs d’accusation, et les a condamnées à une amende de 15 millions de dollars pour l’ensemble de ces infractions.

[13] Elles n’ont présenté aucune défense aux accusations d’avoir produit en retard certains rapports trimestriels, de sorte que leur déclaration de culpabilité à cet égard n’est pas en appel. Les deux chefs d’accusation de déclarations fausses ou trompeuses pour lesquels elles ont été déclarées coupables ne font pas non plus l’objet du présent pourvoi. Rappelons que ces accusations avaient été portées contre les appelantes qui avaient illégalement fait un tri des résultats d’échantillonnage afin de ne transmettre à Environnement Canada que les résultats hebdomadaires ne dépassant pas les concentrations réglementaires.

[14] Les appelantes demandent à la Cour d’infirmer les autres conclusions du jugement de première instance, soit celles d’avoir rejeté ou permis le rejet de substances nocives dans des eaux où vivent des poissons ou en quelque autre lieu où il existait un risque que ces substances pénètrent dans de telles eaux (en un rejet instantané ou sur une base mensuelle), ainsi que d’avoir omis d’effectuer certains tests exigés par règlement lors de rejets irréguliers. Elles demandent également d’infirmer la conclusion du jugement qui déclare 7623704 Canada inc. coupable des mêmes infractions que ArcelorMittal Canada inc.

[…]

Analyse

[17] Pour l’essentiel, les appelantes font flèche de tout bois, plaidant : 1) que la juge a erré en concluant à la fiabilité des résultats d’analyse qui ont conduit à leur culpabilité; 2) qu’elle aurait dû faire droit à leur défense de diligence raisonnable pour prévenir les rejets aux points finaux HS-1 et MS-2; 3) qu’elle a erré en retenant la responsabilité de 7623704 Canada inc. alors qu’il ne s’agit que d’une société de portefeuille qui n’exerce pas de contrôle sur les activités de la mine; 4) qu’elle s’est méprise dans son interprétation des termes « rejet irrégulier » du REMM, notamment parce que les rejets sont survenus dans le cours normal des opérations de la mine; et 5) qu’elle a erré en rejetant partiellement la requête en exclusion de la preuve.

1. La fiabilité et la force probante des résultats d’analyse pour les rejets instantanés de substances nocives contrevenant à l’article 36(3) de la Loi sur les pêches

[18] Les appelantes ont été déclarées coupables d’avoir enfreint les paragraphes 36(3) et 36(4) de la Loi sur les pêches, lesquels interdisent le rejet de substances nocives dépassant la concentration maximale de MES permise par l’annexe 4 du REMM.

[19] Ces rejets ont eu lieu entre le 25 mai 2011 et le 14 mai 2013, aux deux « points de rejet finaux » de la mine, les points HS-1 et MS-2. L’effluent se déversant à HS-1 provenait essentiellement d’installations de traitement des eaux, alors que l’effluent rejeté à MS-2 comprenait des eaux de résurgence et de ruissellement circulant à travers des haldes stériles et des chemins présents sur le territoire de la mine. En résumé, il s’agit de points à partir desquels la mine déverse ses effluents dans des eaux fréquentées par des poissons ou en tout autre lieu, peu importe les conditions où le rejet risque de pénétrer dans ces eaux.

[20] Dans leur premier moyen d’appel, les appelantes soutiennent que la juge a erré en estimant que les résultats d’analyse aux deux points finaux de la mine étaient fiables. Elles sont d’avis qu’elle a : a) erronément conclu qu’une présomption de validité s’appliquait à l’égard de ces résultats d’analyse; b) fait défaut de tenir compte de certaines « défaillances » qui affectaient ces résultats; c) omis de prendre en compte le calcul mathématique de la marge d’erreur des résultats d’analyse.

[21] Je suis d’avis qu’aucune de ces prétentions n’est bien fondée. Voici pourquoi.

a)            La présomption de fiabilité des résultats d’analyse
[22] Les appelantes affirment que la juge a erré en concluant que les résultats d’analyse des effluents aux points de rejet de la mine pouvaient être utilisés en preuve sans prouver leur « fiabilité ». […][24] Dans ces paragraphes, la juge ne conclut nullement que ces analyses sont présumées fiables au sens où leur valeur probante serait présumée. Elle affirme que ces résultats sont admissibles en preuve et ne fait que rappeler, à raison, que les appelantes plaident un argument semblable à celui qui a été rejeté dès le milieu des années 1990 contre le régime d’autodéclaration qui est le socle de la Loi sur les pêches.

[27] Dans leur plaidoirie, les appelantes font fi des conclusions de l’arrêt R. c. Fitzpatrick, datant de trois décennies et concluant à la validité du régime d’autodéclaration de la Loi sur les pêches. […][28]Œuvrant dans un tel secteur d’activité réglementé, les appelantes doivent accepter de respecter les mécanismes de mise en œuvre de cette loi, en fournissant périodiquement des renseignements se rapportant à la gestion de la qualité environnementale de leur mine, ce qui permet à l’administration de contrôler de manière continue le respect des normes prescrites et de gérer les risques environnementaux de son exploitation. Si elles ne respectent pas les règles environnementales qui régissent la mine, elles risquent, à terme, de perdre leurs autorisations environnementales.

[29] En l’espèce, contrairement à ce que les appelantes prétendent, les résultats des analyses étaient admissibles en preuve et la juge n’a nullement fait référence à une présomption législative, jurisprudentielle ou de fiabilité par rapport à ces résultats. Elle s’est ensuite penchée sur la force probante des résultats d’analyse, qu’elle a examinée à la lumière de l’ensemble de la preuve, et a conclu que les résultats des rejets instantanés constituaient une preuve hors de tout doute raisonnable de la culpabilité des appelantes à l’égard de tous les chefs d’accusation, sauf deux, estimant qu’à l’égard de ceux-ci, un doute raisonnable subsistait.

[29] J’estime que ce raisonnement de la juge est bien-fondé.

b)            Les « défaillances » affectant la valeur probante des résultats d’analyse
[31] Les appelantes plaident aussi que les résultats d’analyse ne constituent pas une preuve hors de tout doute raisonnable des éléments essentiels des infractions de rejets, en raison de nombreuses défaillances affectant leur valeur probante, et ce, à toutes les étapes du processus allant de l’échantillonnage à l’analyse.

[…] 

[34] Peu importe lequel de ces deux laboratoires analysait les échantillons, ceux-ci étaient prélevés par des employés d’ArcelorMittal Canada inc. qui effectuaient l’échantillonnage d’eau dans le cadre de leur travail de techniciens miniers.

[…]

[44] Les appelantes, qui remettent en question la fiabilité de leurs propres analyses, adoptent une position critiquable, comme la juge de première instance l’a remarqué avec à-propos, en soulignant qu’il est pour le moins déconcertant que les appelantes cherchent à discréditer la fiabilité de leurs propres échantillons d’effluents, alors qu’elles affirment respecter les bonnes pratiques dans leur échantillonnage, et alors mêmes qu’elles ont omis de transmettre à Environnement Canada plusieurs résultats d’analyse dépassant les limites de concentration prévues à la Loi sur les pêches et au REMM, tout en plaidant la diligence raisonnable.

2. La défense de diligence raisonnable 

[58] Les appelantes soutiennent d’une part, que la juge de première instance a erré dans son analyse de cette défense puisque les procédés mis en place au point de rejet final HS-1 comprennent une série complexe d’infrastructures permettant de limiter les quantités d’effluents. Elles affirment, d’autre part, que des efforts considérables ont été déployés à compter du mois d’août 2012 afin de mettre en place un système de bassins permettant de limiter le dépassement de concentration en MES pour l’effluent qui se déverse à MS‑2.

[…] 

[63] Les appelantes, accusées d’infractions de responsabilité stricte, auraient pu se disculper en démontrant, par prépondérance de preuve, qu’elles avaient fait preuve de diligence raisonnable pour empêcher la commission des infractions, ce qui aurait nécessité qu’elles démontrent avoir pris toutes les précautions raisonnables pour éviter que l’événement en question ne se produise. La norme étant objective, « elle suppose l’examen de l’attitude d’une personne raisonnable placée en pareilles circonstances », étant entendu que le fait d’avoir établi et pleinement mis en œuvre un système préventif est en l’espèce le facteur déterminant pour décider si un employeur doit être tenu responsable des actes de ses employés. 

[64] Exploitant une entreprise dans un domaine hautement technique et spécialisé, le comportement des appelantes doit être analysé en examinant les mesures qu’elles ont entreprises au regard de celles qu’une entreprise minière diligente aurait accomplies. Compte tenu de la taille de leur entreprise, du potentiel de risque environnemental de leurs activités et de l’accessibilité à l’expertise requise pour prévenir ce risque, le niveau de diligence attendu dans les mesures de prévention mises en place aux points de rejet est accru.

[65] En l’espèce, toutefois, la juge n’a pas erré lorsqu’elle a conclu qu’elles n’ont nullement fait la démonstration qu’elles ont fait preuve de diligence raisonnable afin de prévenir les rejets d’effluents miniers au point de rejet HS-1 ou MS-2.

[…] 

[70] Le fait d’affirmer, comme les appelantes le font, que les systèmes de gestion des eaux sont complexes et que les dépassements ont eu lieu dans le cadre des opérations courantes impliquant le rejet d’un effluent ne saurait convaincre qu’elles ont fait preuve de diligence raisonnable. En effet, « celui qui ne peut faire la preuve d’aucune mesure préventive n’a pas de défense de diligence raisonnable à présenter ». Sans avoir à atteindre la perfection, les systèmes mis en place à la mine auraient dû l’être avec un niveau beaucoup plus élevé de prévoyance et de planification, et une meilleure communication dans leur mise en œuvre aurait dû exister. Ce n’est qu’à ces conditions que les appelantes auraient pu plaider la défense de diligence raisonnable.

[…] 

4. La conclusion selon laquelle le rejet instantané dont la concentration en matières en suspension dépasse 30 mg/L est un « rejet irrégulier » au sens du Règlement sur les effluents des mines de métaux
[75] Les appelantes plaident que la juge a erré et qu’elles ne devaient être tenues pénalement responsables d’aucune omission de test ou de suivi en cas de « rejet irrégulier » au sens de la Loi sur les pêches et du REMM, à l’exception de deux chefs d’accusation. Elles estiment, en effet, que les seuls rejets irréguliers pour lesquels elles devaient effectuer des tests de létalité et de suivi sont ceux ayant été causés par le bris soudain d’une digue survenu à la mine, et qu’elles ne peuvent conséquemment être pénalement responsables pour cette absence de tests que pour les chefs 79 et 107 qui concernent ce bris.

[…][77] Selon les appelantes, pour faire la preuve qu’un rejet irrégulier existe et qu’une contravention à l’article 14(1)b) du REMM a donc lieu, l’intimé doit faire une démonstration supplémentaire, soit que le rejet « nuit – ou risque de nuire – aux poissons ou à leur habitat ou à l’utilisation du poisson par l’homme », au sens du paragraphe 38(5) de la Loi sur les pêches (tel que libellé à l’époque).

[78] Je suis d’avis que cette interprétation ne peut être retenue, car elle n’est compatible ni avec les termes de la Loi sur les pêches ni avec les objectifs du régime de protection de l’environnement de cette loi et du REMM.

[79] En effet, une lecture des dispositions législatives et réglementaires pertinentes montre que certaines substances comme les MES sont des substances nocives. Le rejet d’un effluent contenant une substance nocive est seulement permis si la concentration de cette substance ne dépasse pas les limites permises et si les exigences relatives aux vérifications sont effectuées. Ainsi, il est clair que le processus d’essai de détermination de la létalité aiguë en cas de rejet irrégulier s’enclenche si un échantillon prélevé montre des concentrations dépassant les limites permises.

[80] La position des appelantes détonne. Elle revient à dire que seuls les rejets provenant de circonstances inusitées, comme le bris d’une digue, sont soumis à un test visant à protéger les poissons et leur habitat dans le cas où un échantillon contient déjà des substances nocives pour eux.

[82] Au surplus, si l’on retenait l’interprétation que proposent les appelantes, il s’ensuivrait qu’un rejet qui dépasse la norme de concentration en MES permise, contrevenant au paragraphe 36(3) de la Loi sur les pêches et pouvant être sanctionné par une amende maximale d’un million de dollars, ne serait pas nécessairement un rejet irrégulier ou out of the normal course of events, ce qui heurte le sens commun. Les autorités citées par les appelantes n’appuient pas davantage leur position à cet égard.

[…] 

[95] Pour les motifs qui précèdent, je suggère que la Cour accueille la requête en autorisation d’appel sur des questions mixtes de fait et de droit, et rejette l’appel avec les frais de justice.

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Pour information:

  • Rodrigue Turgeon, avocat, Coalition Québec meilleure mine et MiningWatch Canada, 819-444-9226, rodrigue@miningwatch.ca 
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